Dans le cadre du Sommet International du Jeu de Montréal 2007, nous publions une série d'articles résumant le propos des conférences auxquelles nous avons assisté.
Chris Hecker (EA) — La structure versus le style
Mercredi 28 novembre 2007, en début d'après-midi, au Sommet International du Jeu de Montréal, le principal conférencier dans le domaine des technologies du sommet, Chris Hecker de chez Electronic Arts, était très attendu. Pour ceux qui ne connaissent pas Chris, il est expert technologique et a travaillé pour Maxis (Division d’EA, responsable du développement des jeux de franchise Sims). Malheureusement, mais aussi heureusement, avec la vitesse fulgurante à laquelle Chris parlait, il m'a été à peu près impossible de prendre des notes consistantes de la conférence d'une heure. En revanche, heureusement, j'ai déjà fait du développement logiciel, et j'avais donc une assez bonne idée des problématiques dont il parlait (sans prétendre pour autant pouvoir en parler même trois minutes comme lui l'a fait pendant une heure !)Devant un millier de personnes, Chris démarre son exposé à son rythme de compétition, à peu près sans aucune pause : les concepts sont bien présentés mais ne rejoignent pas tout l'auditoire : il vulgarise et donne des exemples. Il commence par dire que dans l'histoire du jeu vidéo, l'invention la plus remarquable est sans aucun doute le triangle. Pourquoi le triangle ? Parce qu'il permet, par le biais de la composition, de créer des polygones complexes, et, ultimement, des sols volumineux, des objets, des personnages, des animations 3D, ce qui fait les jeux d'aujourd'hui.
La force du triangle dans les jeux vidéo réside dans sa grande simplicité : On peut manipuler sa morphologie : le transformer, changer sa taille, sa luminosité, faire des tests de collision; représenter dans un plan 2D la perspective de l'univers virtuel 3D. C'est une structure primitive que l'ordinateur manipule facilement, et TRÈS rapidement. Les polygones, et donc le triangle, représentent la structure du monde.
Le style, ce sont les textures qui sont posées sur ces modèles 3D définis par les polygones. On a donc une séparation très claire entre la structure et le style. On peut, à partir de la structure d'un humain, changer les textures (mesh) qui l'habillent pour créer de nouveaux personnages (si vous avez déjà personnalisé les skins de vos personnages à Counter-Strike par exemple, vous savez maintenant de quoi il s'agit). De cette façon, il est possible de créer une large quantité d'animations pour un modèle 3D donné, puis de lui appliquer plusieurs meshs différents, ce qui donne plusieurs personnages différents qui peuvent reproduire les mêmes mouvements animés qui sont programmés pour leur unique squelette.
Chris prône qu'il faut donner à la machine tout ce pour quoi elle est bonne, et à l'homme, tout ce pour quoi il est doué, et garder le meilleur des deux [pour concevoir des jeux de façon optimale].
Par exemple, le Captcha a été inventé parce que la reconnaissance de texte par ordinateur est un processus compliqué et dispendieux, alors que pour l'humain, c'est très facile à réaliser : nous le faisons tous les jours en lisant du texte partout. C'est ce qui fait du Captcha un mécanisme particulièrement adapté à la problématique des robots, puisque cela réduit considérablement les probabilités qu'un robot puisse franchir certaines barrières, alors que pour l'homme, c'est si facile : ça ne « coûte » rien pour l'humain.
Afin d'améliorer l'interactivité des jeux à l'avenir, il faut redéfinir la façon de concevoir l'intelligence artificielle : il faut, lors de la conception de l'IA, séparer la structure du style, afin de permettre à l'ordinateur de gérer la structure, et aux concepteurs, de gérer le style, tout comme on gère le style d'un personnage animé en changeant son habillage.
Lorsqu'on augmente le réalisme, on augmente généralement la difficulté nécessaire pour rendre le jeu interactif. Exemple : Myst. De jolis graphismes pour l'époque, mais des trajets pré-programmés. L'industrie du jeu vidéo se fait pousser dans le dos pour créer de beaux jeux réalistes next-gen, mais la conséquence est que ces mêmes jeux sont peu innovant sur le plan de l'interaction avec le joueur, et c'est l'intelligence artificielle qui est la clef d'une grande interactivité. En améliorant la qualité graphique et le réalisme visuel et auditif d'un jeu, on augmente donc l'attente en terme de réalisme : l'intelligence artificielle doit donc être meilleure pour être à la hauteur de l'attente.
Dans Les Sims, le Sim a des besoins, et dans chaque pièce, il existe des éléments lui permettant d'y répondre. Par exemple, un Sim qui a faim ira dans la cuisine, pour y trouver le réfrigérateur. Concrètement, un calcul compare rapidement quel est le besoin le plus important, et à partir de là, le Sim sait ce qu'il va faire, et où il doit aller. Ce genre d'IA n'est cependant pas assez poussée pour Chris, même pas du tout. Il dit qu'il faudra beaucoup plus que ça pour améliorer l'interactivité.
Notre problème le plus difficile, dit Chris Hecker, est d'utiliser notre meilleur outil : le cerveau, et pour le moment du moins, c'est un bel échec.
La plus grosse évolution dans l'avenir des jeux vidéo est donc, selon lui, l'interactivité, l'intelligence artificielle. La problématique : séparer la structure du style dans la programmation de l'IA, afin de pouvoir réutiliser davantage les algorithmes d'intelligence artificielle et augmenter les acquis dans ce domaine, et pouvoir approfondir, construire par dessus ce qui existe déjà, comme c'est fait pour les moteurs graphiques par exemple.
La mission de Chris chez EA, est de résoudre les problèmes qui se créent au point de convergence de la conception, de l'esthétisme et de la jouabilité. Comme vous l'avez peut-être senti dans cette synthèse/résumé de la conférence, le personnage réfléchit donc beaucoup sur des grands problèmes de l'aire moderne des jeux vidéo. Si vous mettez la main sur le MP3 de la conférence ou une transcription plus fidèle en anglais, je serais d'ailleurs intéressé, pour valider ce résumé, étant donné que je n'ai eu accès à aucun autre support que ma mémoire au moment de rédiger ce texte. Merci !