Dans nos colonnes, nous faisons régulièrement l'annonce du report de la date de sortie d'un nouveau titre, pourtant toute proche et tout à coup reculée de plusieurs mois. Le phénomène n'est certes pas nouveau, l'histoire des jeux vidéo compte bon nombre de retards si grands que le terme de retard ne semble plus s'appliquer. Certains, comme moi, ont attendus des jeux comme Heart of Darkness pendant de longues années, 6 au total. A son corps défendant, il n'a été réalisé que par une seule personne. N'oublions pas que les hits étaient à l'époque faits par des passionnés dans leurs garages qui les proposaient ensuite en shareware.
Revenons au présent. Les garages sont désertés, maintenant les jeux vidéo sont des projets informatiques comme les autres. Gestion de projet, management et objectifs financiers sont de rigueur dans les studios de développement. Les programmeurs sont organisés en équipes de développement et de tests, les graphistes disposent du nec plus ultra pour laisser libre cours à leurs impulsions créatives, et les chefs d'équipes ont à leurs dispositions tout un panel d'outils de suivi,de planification et de gestion. Devant une telle débauche de moyens, on est en droit de se demander comment un jeu peut voir sa date de sortie en bac reculée de plusieurs trimestres.
Tout d'abord, il est indéniable que l'aspect purement technique d'un jeu se complexifie. 2 rectangles qui se renvoient un carré (Pong, premier jeu de l'histoire), ça a fait fureur, mais c'est dépassé. Intelligence artificielle et animation 3D temps réel sont désormais de mise. Encore faut-il avoir les personnes disposant des compétences nécessaires pour aboutir au résultat souhaité dans les délais impartis. Développer un moteur de physique dynamique tel que le Havok n'est pas à la portée du premier programmeur C++ venu.
Pendant que les compilateurs assemblent des millions de lignes de codes et que les giga-octets d'images de synthèses sortent des fermes de calcul, l ' Editeur du haut de sa tour de verre regarde les abeilles s'agiter dans la ruche.
Au mur du bureau du dernier étage, un calendrier, et un doigt qui dit :" ... et là, avant Noël, ça serait pas mieux qu'après la publication de nos résultats ?" L'éditeur a souvent le dernier mot sur la date de sortie d'un jeu. Si les développeurs souhaitent offrir aux joueurs une "expérience inégalée", l'éditeur souhaite quant à lui présenter à ses actionnaires "un bilan en progression", "des indicateurs au vert" et de bonnes "perspectives pour l'avenir".
Mais au-delà de ces contraintes techniques et purement financières, le marketing s'est aussi insinué dans le processus de détermination de la date de sortie d'un jeu." Se laisser désirer" pourrait être le leitmotiv des commerciaux. Leurs recettes semblent simples :
Publier 3 captures d'écrans prometteuses. Laisser traîner négligemment une vidéo. Permettre à quelques privilégiés de jouer à une beta. Annoncer une date de sortie dans trois mois. à 15 jours de la date butoir, faire un coup de théâtre et repousser de 6 mois. Participer à un évènement mondial, style l'E3, pour montrer votre bébé à la terre entière, et là, seulement là, annoncer que vous repoussez de 3 mois encore pour des raisons techniques. Sortir sur le marché en grande pompe et faire ouvrir à minuit les magasins pour que les millions de joueurs impatients (il y a de quoi, depuis le temps) se ruent sur la précieuse boite tant convoitée et se délestent avec joie de plusieurs dizaines d'euros. "Et voila!"
Si bon nombre de sociétés suivent plus ou moins ce schéma, car il faut avoir les reins solides, financièrement parlant, d'autres utilisent une autre technique, qu'on pourrait appeler l'incertitude permanente. Je pense bien évidemment à Id Software et à son fameux "When it's done". D'ailleurs, la plupart d'entre vous, chers lecteurs, avez déjà pensé à la firme de John Carmack à la lecture du titre de cet edito.
Par définition, cette phrase associée à DOOM 3 est un vaste trompe l'oeil. Qui accepterait de financer un projet dont il n'aurait aucune idée de la date de son retour sur investissement ? Mettre des millions de dollars dans un trou sans fond n'est pas concevable. Mais ces quelques mots sont devenus une marque de fabrique, presque un slogan publicitaire. Répétez après moi : "id Software : when its done!" Ça "conditionne" presque aussi bien que le slogan pour la marque de shampooing "l'Oréal".
Certains essayent même d'user les différentes recettes technico-économico-marketing jusqu'à la corde, et finissent par se mettre à dos les joueurs qui n'osent même plus attendre le jeu promis il y a plusieurs années, et qui, au final, finira peut être par ne même pas sortir. Duke Nukem est un très bon exemple de ce qu'on nomme parfois Vaporware. Annoncé en 1999 pour sortir en 2000, ce FPS a changé, suivant la rumeur, pas moins de 3 fois de moteur 3D. Si comme Pascal disait, il faut remettre vingt fois son ouvrage sur le métier, 3D Realms peut encore opter un certain nombre de fois pour des technologies 3D leur permettant de faire revenir le surfeur musclé dire "Come Get Some".
Cependant, il se pourrait que les dates de sorties, souvent inexactes par volontés technique, politique, financière apparaissent de moins en moins. Même plus d'indication. On vivrait alors l'avant-disponibilité d'un jeu comme on joue à la roulette : en faisant des conjectures à partir de pas grand chose.
Et à l'instar d'Alice aux Pays des Merveilles souhaitant son "non-anniversaire", chaque jour ZeDen pourrait annoncer qu'un jeu est "not done!"