Sorti il y a dix ans, le premier Deus Ex fait déjà office de dinosaure à l'échelle du jeu vidéo. Pourtant, à sa sortie, le jeu a définitivement marqué le monde du FPS avec une expérience de jeu, très largement saluée par la critique et le public, fondée sur la liberté d'action laissée au joueur et un univers très crédible et très travaillé. Sa suite, Deus Ex : Invisible War a été gâchée par un gameplay ayant perdu toute sa profondeur, sa complexité et sa richesse. Un échec cuisant qui a mis la licence entre parenthèses pendant une demi-douzaine d'années avant que soit annoncé Deus Ex : Human Revolution en 2007, et qu'il soit confié à Eidos Montréal, un studio monté de toute pièce pour l'occasion. Les développeurs ont annoncé dès le début du développement que le jeu serait proche du premier opus et que ce serait une « préquelle » et non une suite (une manière de gérer facilement les différentes fins de Deus Ex). Après quatre ans de développement et à l'issue d'une campagne mercatique d'importance, le titre vaut-il le coup ?
Un scénario riche, profond, avec de nombreux embranchements
Deus Ex : Human Revolution se déroule en 2027, 25 ans avant les évènements des deux premiers opus. Dans ce futur proche, les augmentations mécaniques développées par des multinationales pour le compte des militaires, mais également des civils, se sont répandues très rapidement. On incarne Adam Jensen, un ancien agent du SWAT employé en tant que responsable de la sécurité chez Sarif Industries, l'une des grosses boites de bio-technologie développant des augmentations. Adam Jensen débute son aventure en tant qu'humain non augmenté et incarne cette frange de la population qui s'interroge sur les bienfaits des progrès scientifiques et techniques tels qu'ils sont à l’œuvre. Au tout début du jeu, votre entreprise est victime d'une attaque savamment orchestrée qui vise le cœur de métier, c'est à dire la matière grise. Laissé pour mort, l'étendue des blessures d'Adam nécessitent l'implant d'appendices bio-technologiques dans son corps pour lui sauver la vie. Après avoir récupéré, vous serez chargé de l'enquête sur cette attaque, afin de trouver les responsables et leurs motivations. Sachant que vous évoluez dans un monde où les gens équipés d'augmentations sont considérés comme des privilégiés enviés et haïs par les gens non augmentés. D'autant plus que pour que le corps humain, pour accepter les implants mécaniques, a besoin d'une drogue baptisée neuropozine, et dont la distribution est contrôlée par les multinationales. De nombreux augmentés se retrouvent dans la rue, s'étant ruinés pour acheter leurs doses quotidiennes de neuropozine.C'est là la base du scénario du jeu, avec une profonde réflexion qui emmène le joueur sur des thèmes comme l'humanité, l'éthique, la philosophie et le transhumanisme. Les développeurs, d'une manière très habile puisqu'ils n'imposent jamais une vision du problème, arrivent à nous interpeler avec brio sur ces questions très spécifiques. Adam rencontrera en effet des terroristes anti-augmentations, des clans de punks, des émeutiers, des politiques, des scientifiques, des responsables d'organisations criminelles, des augmentés heureux, des clochards, etc. qui, tous, apporteront leur pierre à l'édifice de la construction de la pensée autour de ce thème. Le scénario est apporté par petits bouts, que ce soit via des cinématiques (avec une compression super crade, malheureusement), des conversations avec des personnages, des emails, des journaux, des conversations entre personnages, des émissions de radio et de télé, etc. Si vous voulez vous plonger dans le scénario, vous aurez plusieurs moyens de le faire qui correspondent aux différents degrés d'implication que vous souhaitez. Alors bien évidemment si l'univers cyberpunk du jeu ne vous branche pas plus que ça vous pourrez très bien aller à l'essentiel, mais le jeu force tout de même à s'interroger sur notre avenir et sur la condition humaine.
La pomme d'Adam, une erreur de genèse
Les développeurs l'avaient annoncé, et ils sont tenu parole : Deus Ex : Human Revolution est clairement inspiré de Deus Ex. Car mine de rien, Deus Ex est devenu une légende, bénéficiant d’un culte énorme de la part des nombreux fans (vieillissants) du jeu. Mais attention, le jeu ne s'interdit pas quelques emprunts aux productions modernes. C'est ainsi qu'on note l'apparition d'un halo lumineux signalant les éléments interactifs du décor, la remontée automatique de l'énergie en plein combat ou encore la disparition du lean à la faveur d'un système de couverture à la troisième personne. Heureusement que certaines de ces fonctionnalités sont paramétrables. Pour ma part, le halo jaune ne m'a pas spécialement dérangé, c'est plus la régénération automatique de la vie, qui est d'après moi superflue, d'autant plus que le jeu propose par ailleurs tout un tas de boissons et de nourriture permettant de gagner des points de vie. Idem pour le système de couverture à la troisième personne qui est assez discutable, surtout quand on voit la redoutable efficacité du système de couverture à la première personne de F.E.A.R. 3, par exemple.Mais ces choix de game design n'affectent pas l'essence du jeu, est on est bien en présence d'un vrai Deus Ex, avec tout ce que cela comprend, et notamment les diverses transformations du héros. La transformation d'Adam en être augmenté a une incidence sur ses capacités. Il est tout à fait possible de finir le jeu sans s’augmenter, comme il est tout à fait possible de le finir sans tuer aucun ennemi. Néanmoins, ces augmentations apportent un vrai plus au niveau du gameplay, et il serait dommage de s'en priver. Mais attention, les augmentations coûtent cher (5000 crédits ma bonne dame) ou alors sont débloquées avec l'expérience acquise lors des quêtes ou différentes actions comme le piratage, les conversations, la découverte de passages etc. Mais il faudra de toutes façons faire des choix, en privilégiant les améliorations qui collent avec votre type de jeu. Si vous êtes plutôt un pirate, ce sera vers là qu'il faudra améliorer, si vous êtes bourrin il vous faudra améliorer votre santé et votre résistance, si vous êtes plutôt discret, il faudra améliorer vos aptitudes à vous tapir dans l'ombre.
Gameplayus trigonum
Car l'ensemble du gameplay est fondé sur ces différences d'approche. Si vous voulez rester discret, vous pouvez, si vous voulez foncer, vous pouvez aussi, et si vous voulez faire un mélange des deux, vous pourrez également. Sachez aussi que les développeurs ne vous poussent pas dans l'une ou l'autre voie, mais dans le niveau de difficulté le plus élevé, vous pourrez difficilement la jouer bourrin, les ennemis faisant très mal. Votre objectif se trouve dans une pièce qui est gardée par deux ennemis. Le choix le plus naturel et le plus simple est de leur coller une balle dans la tête chacun, d'ouvrir la porte et réaliser votre objectif. Mais en cherchant bien, vous trouverez derrière un distributeur de boissons un conduit d'aération qui mène jusqu'à la pièce voisine. Dans celle-ci se trouve un ordinateur qui contrôle les robots de défense. C'est ainsi qu'en retournant un robot de défense contre les ennemis, il effectuera le sale travail à votre place. Bien plus grisant. Enfin, troisième voie, bien plus discrète. Passant de couverture en couverture, vous apercevez une fenêtre mal fermée qui vous permet d'infiltrer la pièce sans être vu des deux gardes. Encore plus grisant. Vous l'aurez compris, dans le jeu, vous êtes maître de vos décisions, ce qui est particulièrement jouissif et rafraichissant dans le monde des FPS couloirs avec peu de saveur.Seul gros reproche que je ferai au jeu, les combats contre les boss sont assez décevants et totalement inutiles. Inutiles pour l'histoire, mais également car ils desservent globalement le jeu. Avoir monté les compétences de piratage et de furtivité et se retrouver face à un boss qui nécessite qu'on lui spam la gueule avec des grenades est assez frustrant. Quand je suis arrivé au premier boss, je n'avais quasiment qu'un flingue 10 mm muni d'un silencieux pour faire face, sans aucune augmentation liée au combat. Moralité, j'en ai bien chié. Et tous les combats contre les boss sont assez mauvais. Ajoutez à cela que, contrairement à tout le reste du jeu, le design de ces derniers est assez mauvais (genre avec écrit « badass » sur le front).
Des missions secondaires mais pas tant que ça
Je vous parlais précédemment des missions secondaires, et il faut bien avouer que celles de Deus Ex : Human Revolution sont particulièrement réussies. Attention cependant, ces dernières ne vous tomberont pas toutes cuites entre les mains, mais elles seront déclenchées en parlant aux bonnes personnes dans les centres urbains. Elles sont globalement assez variées, et surtout très longues, puisqu'il faut en moyenne une heure pour en venir à bout. Cela va de la collecte d'informations au cambriolage en passant par des enquêtes policières. Toutes les missions sont en tout cas scénarisées, et les développeurs n'ont pas lésiné sur les moyens. Tout comme la campagne solo, ces missions ne vous enfermeront pas dans un carcan, en proposant différentes approches et des embranchements différents en fonction de leur dénouement. Pour ma part, il m'a fallu 24h pour terminer le jeu en mode Deus Ex et en faisant 80% des quêtes secondaires. Une durée de vie tout à fait honorable qui aurait pu s'étirer jusqu'à 30 heures si j'avais trouvé les quêtes manquantes.Le jeu propose en effet une structure assez particulière avec des hubs urbains. Grosso-modo, entre les grandes phases de la campagne solo qui se déroulent dans des lieux spécifiques, vous serez lâché dans de grandes villes — Detroit aux États-Unis et Hengsha en Chine principalement — où vous aurez la liberté d'explorer librement comme bon vous semble les différents lieux, y compris les égouts. Jamais vous ne serez forcé d'accomplir telle ou telle action, mais vous aurez la liberté de glaner des infos, trouver des lieux cachés, pirater des terminaux afin de pouvoir pénétrer dans certains bâtiments et ainsi faire des missions secondaires par la rencontre avec des PNJ.
RPG Style
Human Revolution n’est bien évidemment pas une copie du premier opus, ni un remake. Il tire son épingle du jeu grâce à de nombreux mécanismes empruntés aux jeux de rôles, qui enrichissent considérablement le gameplay. Commençons avec le système de dialogue, qui est assez crédible et profond, ce qui est assez rare pour être souligné. Vous ne pourrez pas tailler la bavette avec chaque PNJ du jeu, les simples passants ne vous racontant jamais plus de deux ou trois lignes de dialogues. Néanmoins, les PNJ importants ont chacun une personnalité précise nécessitant constamment d'être analysée afin de comprendre ce qu’ils veulent dire ou sous-entendre. Les options de dialogues disponibles sont variées et jamais trop manichéennes de fait que les réponses sont souvent un entre-deux et on ne sait jamais vraiment à l'avance ce que va dire Jensen et comment son interlocuteur va répondre. Jamais une réponse est plus évidente qu'une autre et il faudra toujours jouer au chat et à la souris avec son interlocuteur pour apprendre à le connaître, et le pousser dans ses retranchements sans l'énerver. Bien évidemment, des augmentations viendront vous aider dans cet aspect social du jeu, mais elles ne supplanteront jamais votre jugement dans les batailles rhétoriques que vous pourrez mener avec certains personnages clés de l'histoire.Pour parfaire leur approche furtive, les joueurs consciencieux tâcheront d'apprendre quelques rudiments informatiques, nécessaires pour hacker tranquillement les nombreux ordinateurs, portiques d'accès et autres terminaux où sont stockées toutes sortes informations utiles. Je dois vous avouer que j'ai totalement accroché au système de piratage du jeu, bien plus réussi que celui de BioShock. A tel point qu'il s'agit presque d'un jeu dans le jeu qui devient sans cesse plus compliqué à mesure que le jeu avance. Chaque terminal possède un niveau d'expertise, de 1 à 5. Si la sécurité de niveau 1 n'arrêtera pas grand-monde, il faudra avoir un peu de bouteille à partir du niveau 3 et être sérieusement augmenté pour ceux du niveau 5. Mais le jeu en vaut la chandelle, et le piratage permet de se faciliter la vie, permettant de trouver des informations essentielles. C'est ainsi qu'en lisant un mail vous verrez qu'une intervention technique à tel endroit vous permet de passer sans être vu des gardes, que vous pourrez contrôler les systèmes de défense des bases, désactiver les mines de proximité, ouvrir des coffres, etc. Les occasions de pirater ne manquent pas, et c'est tant mieux. Mais les joueurs qui n'aiment pas pirater ne seront pas pour autant laissés derrière, puisque les ennemis contiennent des carnets électroniques contenant les informations de leur compte informatique, ou que les indiscrétions des PNJ vous révèleront des mots de passes.
Une direction artistique exceptionnelle
Ce qui marque tout de suite dans le jeu, c'est sa direction artistique absolument maitrisée jusque dans ses moindres détails. Elle viendra très aisément gommer les quelques soucis du jeu, surtout au niveau de la modélisation des personnages. Mais les animations sont également à la rue et les temps de chargement assez fréquents et plutôt longs. Mais revenons un instant su la direction artistique qui est magistrale. Inspiré du cyberpunk, et à l'instar d'un Blade Runer, vous serez constamment plongé dans la nuit, impression renforcée en Chine avec une ville basse dominée par une ville haute qui capte toute la lumière. Les couleurs choisies renforcent encore cette impression. Personnellement, j'ai adoré et jamais je n'ai été choqué par ces déclinaisons du « jaune et or » qui donne une âme au jeu.Malheureusement, le bilan technique du portage PC prête à pas mal de contestations. Sur ma configuration, le jeu n'était pas stable, oscillant entre 30 et 60 FPS, sans aucunes raisons particulières. Pire, la baisse des options graphiques ne faisant pas baisser les chutes de framerate sur ma Radeon HD 4870. Ça la fout mal, surtout pour un jeu estampillé AMD. La résolution d'écran vient également amplifier les soucis de textures qui ne sont pas toujours détaillée et d'aliasing un peu présent. Au niveau des regrets, notons également la qualité de l'IA, est est en deçà de ce qu'elle aurait dû être pour un jeu de ce type. Les réactions de ennemis sont encore très loin d'être crédibles, et il arrive parfois qu'un ennemi ne réagisse que très peu à la mort d'un coéquipier, ou au contraire balance l'alarme car il a aperçu un bout de notre tête dépasser d'une couverture pendant une demi-seconde.
Terminons en disant un mot sur la qualité sonore du jeu, qui propose des musiques exceptionnelles et des sons qui sont particulièrement bons. Néanmoins, il faut noter que la qualité des doublages français est vraiment pitoyable, avec notamment David Sarif, qui est doublé par le même acteur qui faisait Harlan Doyle dans Far Cry et que je trouvais déjà pitoyable à l'époque. Ajoutez à cela l'absence totale de synchronisation labiale, façon série américaine des années 1980, et vous obtenez une réelle déception. On regrettera en plus de ne pas pouvoir choisir simplement d'accéder à la VO par le menu du jeu.
Conclusion
Deus Ex : Human Revolution est clairement LE jeu solo de l'année. C'est le digne descendant du premier Deus Ex sorti au siècle dernier. Offrant un gameplay riche et profond, un scénario très travaillé avec de nombreux embranchements et des mécaniques de jeu très fraiches, c'est un must have pour tout gamer qui se respecte. On regrette tout de même que l'IA ne soit pas à la hauteur des ambitions, et que les doublages français soient si mauvais.
Pour les FPS, pas de baisse, ils restent à 60 sans problème.