Nous sommes donc allés poser des questions à ce sujet à un développeur français, Bafman, 23 ans, développeur 3D dans un studio spécialisé dans les jeux de stratégie/gestion, au sens large du terme. Des notes explicatives émaillent ses réponses, afin d'apporter un éclairage ou un approfondissement au lecteur.
L'interview est découpée en 2 parties :
- Une partie plus généraliste, sur le métier, la formation, le marketing.
- Une partie plus technique, sur la programmation, les tests.
#1
Quel poste occupes-tu exactement ? "Développeur 3D Recherche et Développement". Je m'occupe donc du développement de diverses parties du moteur 3D du jeu sur lequel nous travaillons.
#2
Tu occupes ce poste depuis longtemps ? Tu as participé de près ou de loin à combien de jeux ?J'y travaille depuis un peu plus de 6 mois, et c'est mon premier boulot (et donc mon premier jeu commercial)
#3
As-tu une formation spécifique aux JV, ou bien es-tu simplement développeur à la base ?Master Génie Logiciel, tout ce qu'il y a de plus classique. En fait, il y a très peu de personnes à avoir un diplôme orienté jeux vidéo chez nous.
#4
Comment en es-tu arrivé aux jeux vidéo ? Une volonté dès le départ ou un choix sur le tard ?Dès que j'ai eu un clavier entre les mains, j'ai programmé des jeux. On peut donc dire que c'est un choix dans la continuité de ce que j'ai toujours fait.
#5
Joues-tu chez toi aux titres sur lesquels tu as travaillé ?Non. En fait, je joue très peu chez moi. À la limite, je teste les démo des autres jeux pour voir, mais je n'ai pas vraiment le temps de jouer, malheureusement. Par contre, ceux qui travaillent sur le gameplay testent effectivement beaucoup de jeux de tout les genres.
#6
Quel(s) diplôme(s) spécifique(s) au développement de jeux existe-t-il ? Il existe quelques trucs en France, comme l'ENJMIN ou encore Supinfo Game, mais le principal intérêt de ces formations est la partie game design. Pour être programmeur, n'importe quelle école peut faire l'affaire. Après, c'est plus une question de volonté qu'autre chose.
Note du Rédacteur
L'ENJMIN est l'Ecole Nationale du Jeu et des Medias Interactifs Numériques. Tout comme SupInfoGame, elle est effectivement orientée game design.
Concernant la programmation, BTS, DUT, école d'ingénieur ou autre, du moment que cela soit orienté informatique, on retrouvera l'enseignement de 2 matières importantes : l'algorithmique d'une part, et d'autre part, un ou plusieurs langages de programmation répandus. Les algorithmes sont la description sur papier des traitements réalisés par un programme : cela est nécessaire en programmation pour les parties compliquées à réaliser, et en moteur 3D, nul doute qu'il y en ait. Concernant l'apprentissage des langages, il est d'usage de commencer par le C et/ou le C++. Une fois maîtrisés les concepts de ces langages, on peut programmer en quasiment n'importe quoi, d'où leur intérêt pédagogique.
#7
Décris-moi une journée type du développeur de jeux vidéo.On arrive au boulot, on lance le PC. On va faire un tour à la machine à café en attendant que le PC se lance, puis, une fois le café pris, on essaye de se souvenir de ce qu'on était en train de faire la veille pour s'y remettre. Avec un peu de chance, on a pas à mettre à jour, donc on peut commencer à travailler immédiatement. Sinon, il faut mettre à jour plusieurs gigaoctets de données, recompiler le projet, vérifier que tout fonctionne, et la on peut bosser. Ensuite, le reste de la journée se résume à
- Coder
- Récupérer les spec' du boulot à faire auprès
des clients (game designer, graphistes, voir même d'autres programmeurs)
- Corriger des bugs
- Boire du café
Note du rédacteur
Je confirme. En tant que développeur, je reconnais ici la description de mes journées et de celles de mes collègues. Peu importe ce qu'on programme, on a toujours besoin d'une description de ce qu'il y a coder, et on rencontre toujours des problèmes : programme qui plante, qui ne produit pas le résultat escompté, etc.
Concernant le café : on a souvent l'impression que si la machine à café s'arrête de fonctionner, la productivité de l'entreprise complète est amputée de moitié...
#8
Vous développez sur quel type de bécane (mono / bi processeurs, combien de mega de ram, carte graphique , etc) ?En gros, on développe sur des grosses bécanes. Ca va du dual core au quad core avec de 3 à 4 Go de ram. Pour les cartes graphiques, c'est plus hétéroclite. On pourrait penser qu'on développe sur des bécanes trop grosses et qu'on risque donc de sortir un moteur 3D pas suffisamment optimisé car fait sur des monstres, mais il faut bien voir qu'on a en permanence une multitude d'outils lancés qui prennent à eux seuls plusieurs giga de RAM, et en plus, on développe le tout en debug. Il nous faut donc des bécanes qui permettent un niveau de productivité suffisant...
#9
Quels sont les aspects que tu préfères dans ton job ? Et qu'est-ce que tu apprécies moins ?Ce que je préfère, c'est faire toute la journée ce que je faisais pendant mes loisirs avant (et être payé pour ça). Ce que j'apprécie le moins... ce sont les journées où je dois releaser quelque chose mais que je ne peux pas car tout le monde le fait en même temps que moi. On a une impression d'improductivité dans ces cas-là...
Note du Rédacteur
Dans le développement, les jours où un logiciel doit être livré (= releasé) aux clients offrent aux programmeurs les mêmes sensations qu'on avait quand la fin d'un examen approchait et qu'on avait pas fini... Plus le projet est gros, plus l'équipe est nombreuse, et plus les releases semblent relever du parcours du combattant. Mais cela fait partie du métier, comme on dit.
#10
Combien d'heures par semaine en moyenne travailles-tu ? Est ce que ça varie selon le stade du projet ?On est à 39h par semaine. Après, selon les besoins, ça peut varier, mais l'entreprise ne pousse pas à faire des heures supplémentaires. On préfère faire notre boulot à notre rythme, quitte à repousser la sortie plutôt que de travailler comme des fous pour sortir un produit bâclé.
#11
Et niveau du salaire, est-ce intéressant ?Non. À formation et localisation géographique égales, je suis payé un tiers de moins que certains qui sont sortis de l'école en même temps que moi... Et les programmeurs sont sans doute les mieux payé du milieu. En fait, entre un graphiste, un game designer et un programmeur, à nombre d'années d'expérience égale, c'est souvent le programmeur le mieux payé. Une étude faite récemment aux Etats unis a montré que de ces 3 boulots, c'était le programmeur le mieux payé, ensuite le graphiste, et finalement le game designer. Je ne sais pas si c'est la même chose en France, mais ça me semble probable
#12
Comment s'organise le développement d'un jeu vidéo ?Dans un premier temps, il y a toute une partie recherche pour déterminer ce qu'on souhaite faire, ce qu'on peut faire... Ensuite, on fait une démo pour aller démarcher des éditeurs. Si le projet plaît, alors on signe le contrat et le boulot sérieux commence. Pour certains, ça se passe différemment, c'est l'éditeur qui a un projet et qui le propose à la boîte, s'il n'a pas de studio interne pour le faire.
Une fois qu'on a signé le projet, on commence à bosser sur les éléments finaux du jeu (règles de gameplay, moteur 3D...)
Pendant le développement, tout s'organise autour de livrables réguliers. En gros, à des intervalles plus ou moins réguliers, on donne à l'éditeur une version du jeu qui doit répondre à un certain nombre d'objectifs (intégration de tel effet graphique, de telle règle de gameplay...). Ceci permet d'avoir une meilleure visibilité de la progression du projet tout en ayant des objectifs clairs. Ensuite, sur la fin du développement, on rentre dans la phase de tests intensifs. Les tests se font tout au long du développement, mais sur la fin du projet, ils s'intensifient.
#13
On semble très loin de "l'esprit startup" que certains imaginent encore dans les studios ?Ça existe sans doute toujours dans certaines boîtes, mais un jour ou l'autre, il faut bien organiser le développement, sinon, on fait fuir les investisseurs. Et un jeu sans éditeur, c'est un jeu mort.
#14
Considérant le risque associé à un gros projet comme le développement d'un jeu vidéo, est ce que tu considères que les éditeurs et développeurs se partagent ce risque ?Les deux partagent. Avant d'avoir un éditeur, c'est le développeur qui prend des risques, mais une fois le contrat signé, c'est l'éditeur qui a le plus de risques. Le développeur, une fois le contrat signé n'a plus qu'à développer le jeu avec l'argent de l'éditeur en quelque sorte. En fait, à un instant donné, celui qui prend des risques, c'est celui qui débourse de l'argent
#15
Sur un domaine donné, dans votre cas plutôt les RTS, comment suivez-vous la concurrence ? Par voie de presse principalement. Quand ils sortent, on les teste, on les analyse et on essaye d'en tirer toutes les conclusions possibles.
#16
Quand un titre majeur sort, comme Supreme Commander, est-ce que vous l'achetez pour "savoir ce qu'il a dans le ventre" ?Oui, bien sûr. Ca nous permet de savoir où en est la concurrence.
#17
Pensez-vous faire des FPS un jour ?A priori non.
#18
Est-ce que le marketing a un impact sur les développements, à quelque niveau que ce soit ?Oui, ça a un impact. Par exemple, le marketing peut nous demander d'ajouter un effet "Next Gen" alors qu'il n'était pas prévu à l'origine. Sinon, au niveau du jeu en lui-même, nous sommes relativement libres. En gros, le marketing va nous donner des orientations, mais pour les détails, c'est toujours nous qui choisissons.
Après, selon le niveau d'indépendance du studio, l'influence du marketing est plus ou moins importante...
#19
Comment sont définies les recommandations machines qu'on trouve sur les boîtes des jeux ? Par les developpeurs ou par le marketing ?Par les deux. En gros, on estime une plateforme cible, on estime une liste de fonctionnalités à faire tourner sur cette plateforme, et on fait tout ce qu'on peut pour que ça marche sur cette plateforme. Si elle ne suffit pas, on a que deux choix possibles : augmenter la plateforme cible, ou supprimer des fonctionnalités (au sens graphique du terme bien entendu)
Et maintenant, passons aux questions plus techniques dans la 2 eme partie de l'interview.