En annonçant récemment l'arrivée des Steam Machines et de SteamOS, Valve Software a mis un gros pied dans la fourmilière du monde du jeu vidéo. Est-ce que cela va entrainer des bouleversements aussi importants que ceux introduits par Steam il y a dix ans ? Cela se pourrait bien. Mais alors que tout le monde pense que Valve s'attaque frontalement aux consoles de salon de nouvelle génération (Xbox One et PS4), il n'en est rien. Le combat des salons aura bien lieu, mais il s'agira d'une guerre de tranchées entre un géant américain et un géant japonais. Valve, de son côté, et malgré les annonces, semble plutôt vouloir bouleverser le monde du jeu sur PC.
Valve a en effet annoncé récemment trois choses : un système d'exploitation (SteamOS), des machines l'exploitant (Steam Machines) et une manette (Steam Controller). Les joueurs s'attendaient à Half-Life 3, et ils ont été déçus. Mais il faut toujours regarder plus loin que le bout du nez des fanboys. Car ce qu'a annoncé Valve, c'est bien plus que simplement des « PC pour les nuls dans le salon ». Cette annonce pourrait en effet redéfinir le monde du jeu PC comme Steam l'a fait une décennie plus tôt. Qui, en 2003, aurait parié un kopeck sur cette plateforme ? Pourtant, en dix ans, cette dernière qui a démarré comme une usine à gaz a révolutionné les modes de consommation et de distribution des jeux sur PC, tuant la vente en magasins, mettant un sérieux coup de frein sur le piratage et démocratisant la dématérialisation des supports. On peut donc penser que l'emblématique développeur a encore de la ressource (surtout qu'il est désormais assis sur des montagnes de cash) pour nous proposer une nouvelle révolution.
Quand Valve a présenté les spécifications techniques des prototypes des Steam Machines, la plupart des observateurs ont pensé que Nvidia était un standard. Mais il n'en est rien, et les constructeurs pourront tout à fait mettre de l'AMD et même du Intel HD Graphics dans les Steam Machines. Cela signifie en somme que la seule chose que les Steam Machines auront en commun sera SteamOS (et accessoirement la manette). Et SteamOS c'est quoi ? Simplement un système d'exploitation qui sera basé sur Linux, qui sera gratuit, et qui sera pensé pour le jeu.
Cela fait déjà maintenant plusieurs années que Microsoft, qui était initialement l'un des plus gros acteurs du marché du jeu vidéo sur PC, se désengage. Il s'y désengage en tant qu'éditeur et en tant que développeur, l'essentiel de ses forces étant tournées vers sa console de salon, la Xbox. Jusque-là Microsoft a fait beaucoup pour le monde du jeu PC, via notamment son API DirectX. Il faut dire que Windows, son système d'exploitation, jouissait jusque-là d'une position ultra-dominante sur le marché des joueurs sur PC qui lui permettait de se reposer sur ses lauriers. Les Mac n'étaient pas taillés pour le jeu, et les quelques joueurs qui tentaient Linux étaient des bidouilleurs avertis prêts à mettre leurs mains dans le cambouis pour faire fonctionner leurs jeux favoris. Mais ça, c'était avant. Car Valve s'est aussi attaqué à ces deux marchés de niche en portant Steam sur Mac et Linux récemment. Ce faisant, Valve a engagé un mouvement d'indépendance vis-à-vis de Microsoft, de son Windows et de son DirectX. Ce mouvement d'indépendance se concrétise aujourd'hui avec l'annonce de ce nouveau système d'exploitation. En effet, Valve s'est engouffré dans le trou béant laissé par Microsoft dans son soutien du jeu vidéo sur PC voulant lui prendre ainsi une sorte de monopole de rentier, d'industriel tant sûr de lui qu'il néglige sa base de consommateurs. Et les hardcore gamers ont depuis longtemps l'habitude d'avoir avec Windows une sorte de relation amour-haine. On n'aime pas vraiment l'image, on n'aime pas vraiment les méthodes, mais on aime pouvoir jouer tranquillement à nos jeux sans nous poser de questions sur la compatibilité des pilotes de notre carte graphique avec le système, etc. De plus, Microsoft propose son système d'exploitation pour un prix prohibitif, bien au-delà des ressources de la majorité des joueurs... qui préfèrent pirater ce système d'exploitation. Ils le piratent non-pas car ils lui vouent un amour absolu, mais plutôt car c'est le seul moyen d'accéder à leur ludothèque. Si l'on ajoute à cela l'échec cuisant de Games For Windows Live (c'est en euphémisme), nous avons tous les ingrédients d'un naufrage.
Quand Valve a sorti la version Linux de Steam, de nombreux développeurs ont suivi le mouvement en portant leur jeu sur ce système d'exploitation. Ceci étant, il s'est alors essentiellement agi de développeurs indépendants. Le fait est qu'aujourd'hui, Valve a une taille critique suffisante et les reins suffisamment solides pour entrainer dans sa suite les acteurs du jeu vidéo sur PC. Nvidia qui a vu le marché des consoles de nouvelle génération lui échapper au profit de son concurrent AMD a bien senti le vent tourner et s'est lancé à fond dans l'aventure aux côtés de Valve. Ce partenariat permet désormais de proposer pour Linux des pilotes graphiques Nvidia optimisés.
En tant que joueur, tout ce que je demande, c'est de pouvoir jouer à mes jeux. La grande qualité des distributions Linux populaires actuelles (comme Ubuntu, Fedora, etc.) pousse à imaginer sans mal que que le potentiel pour SteamOS est immense. La version 8 du système d'exploitation de Microsoft avec son interface est clairement taillée pour les supports mobiles et la version 8.1 n'est qu'un rétropédalage pour ne pas perdre les clients corporate. Et les gamers dans tout cela ? Il sont loin, très loin des préoccupations du géant de Redmond qui lorgne plutôt du côté de la ménagère de 50 ans qui veut faire joujou avec ses doigts quand elle n'est pas en train de donner du temps de cerveau disponible à TF1.
Bref tout ça pour dire que quand je vois la qualité d'Ubuntu et d'autres distributions Linux, pas grand-chose pourrait me faire rester sur Windows si les jeux vidéo basculent sur cet SteamOS sur la période 2014-2020. Valve prend clairement les rênes du jeu vidéo sur PC en proposant une plateforme de distribution crédible et populaire, suivie par une offre de système d'exploitation et un hardware qui peuvent apporter au jeu sur PC un dynamisme et une fraicheur, mais également, et surtout, une crédibilité économique sur la prochaine décennie. Il s'agit-là d'un rôle de leadership majeur du monde du PC qu'un consortium comme la PC Gaming Alliance n'a jamais pu jouer. Non, le monde du jeu PC n'est pas mort, loin de là, et avec cette initiative heureuse, Valve prouve qu'il peut également se montrer combattif, créatif et s'adapter aux nouvelles réalités du marché.
C'est vrai que Valve est un acteur positif du jeu PC, dans le sens où en tant que joueur je trouve qu'on y gagne beaucoup avec leurs initiatives (au pif, le modèle économique de Dota), et ça sera encore le cas ici aussi. Un OS gratuit, orienté jeu, et qui d'après eux apporterait des gains significatifs côté performances (confirmé par des responsables de Paradox). Indirectement ça sera aussi une belle contribution pour la communauté Linux, qui avait eu le droit à des pilotes réellement décents avec l'arrivée de Steam sous Linux, et qui devrait obtenir des pilotes encore plus aboutis avec Steam OS.